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Culture et patrimoine

La chèvre élément du patrimoine sérère ?
L’élevage de chèvre n’a plus le prestige d’antan. Il recule de plus en plus au profit des ovins qui semblent être plus faciles à contrôler et surtout plus rentables en termes de prix lors de la commercialisation et ayant une image plus attrayante au niveau des religions révélées qui placent le mouton au devant de la chèvre.

A première vue cette situation ne semble pas contraster avec la place de la chèvre dans le quotidien des sérères du Sine dans la Région de Fatick au Sénégal. Beaucoup de témoignages attestent que cet animal aurait cohabité depuis très longtemps voire même depuis toujours avec cette ethnie qui vit au centre et centre-ouest du Sénégal. Tout porte à croire que la chèvre est de plus en plus laissée à elle-même et considérée également comme « la vache du pauvre ».

Ce manque d’enthousiasme voire de considération vis-à-vis de la chèvre est lié à un certain nombre de « clichés » qui l’entourent. Elle est assimilée au diable, disposant de pouvoirs mystiques, parfois même considérée comme la propriété du diable, c’est-à-dire difficile à maitriser. Cet animal, dévastateur des cultures parce que épris de liberté et conduit comme tel en divagation, est également craint par le fait que dans la croyance populaire, il est vecteur ou révélateur de maladies comme la lèpre.

Pourtant dans la société traditionnelle, cet animal compagnon du sérère qui l’utilisait comme tremplin pour accéder à la richesse symbolisé par la vache présentait des vertus non négligeables. Substitut de nourrice pour les bébés et enfants, la chèvre prolifique et résistante est facile à entretenir pour les petits éleveurs.

Force est donc de retourner à ces mythes et images traditionnelles pour montrer aux générations actuelles et futures que ce patrimoine sérère mérite d’être valorisé pour en faire un enjeu de développement durable comme l’ont perçu les Conseils Régionaux de Fatick et de Poitou-Charentes. Ces collectivités partenaires en ont fait la thématique de leur foire caprine de janvier 2012, moment de festivité mais aussi de réflexion.

Un angle d’analyse purement technique et médical ?

Quant on jette un regard sur la bibliographie sénégalaise relative aux petits ruminants en général et à la chèvre en particulier, on se laisse impressionner par l’importance des écrits. Cependant, à y voir de très prêt, l’on remarque qu’ils restent largement dominés par les études vétérinaires mettant l’accent sur les aspects techniques et médicaux.
L’angle d’analyse sur la chèvre porte donc essentiellement sur le mode d’élevage, les questions de pathologie et de productivité, la capacité d’adaptation de l’animal aux contextes environnementaux changeants, sa fécondité marquée par une reproduction rapide (maturité sexuelle précoce et grande prolificité) qui en fait un atout dans les pays du Sahel (Jansen et al, 1991). Les chercheurs semblent unanimes sur la capacité de cet animal à survivre dans des régions arides, semi-arides et montagneuses en se nourrissant de ce qu’elle peut trouver sur son parcours, et aussi sur sa capacité physique et physiologique à s’adapter et à s’alimenter très facilement avec des plantes disponibles dans son environnement.
Cette littérature aborde peu ou presque pas les aspects culturels et sociaux relatifs à cet animal, à son élevage et à l’utilisation de ses produits malgré la survivance des mythes et préjugés défavorables.

Et si le salut était dans la promotion d’une culture caprine ?

Comment faire pour que toutes les fonctions productives (peau, lait, fromage et viande entre autres) de la chèvre soient suffisamment valorisées ? Comment faire pour que l’élevage de la chèvre redevienne source de plaisir ? Comment faire pour que les mythes et rites autour des chèvres soient des points d’appui pour le développement de la filière ? Autant de questions qui posent la problématique du développement d’une culture caprine au Sénégal et dans la région de Fatick précisément.

Des échanges avec les acteurs divers et variés au niveau de la région de Fatick ont fini par nous convaincre sur l’importance socio-économique et culturelle de la chèvre dans la vie du Sine Sine (habitant du Sine).

Elle constitue un placement d’économie pour régler des problèmes quotidiens ou ponctuels, entretient les relations sociales (cadeau de mariage ou pour l’accueil d’un hôte de marque) et est utilisée pour les sacrifices rituels. De plus tous ses produits et dérivés : le lait, la viande, la peau, la graisse, les cornes... sont utiles à l’homme et révèlent des vertus symbolique, économique et marchande, sociale, nutritionnelle, médicinale ou thérapeutique et religieuse.

La valorisation de la chèvre, de ses produits et dérivés nécessite par conséquent une prise en compte de la tradition symbolique et culturelle de l’animal, d’autant plus que même les images négatives relèveraient d’une volonté d’apeurer les éventuels destructeurs de ce patrimoine, tremplin utile pour l’accession à la prospérité.

Comment promouvoir cette culture caprine ? Bâtir une communication participative pour lever certains préjugés

Les résultats de la recherche médicale sur la chèvre ont fini de démontrer que sa viande et son lait ont des vertus nutritives et thérapeutiques avérées. S’il s’avère que ces deux produits ne sont pas vecteurs ou révélateurs de maladies comme la lèpre selon certains médecins, une vraie campagne de communication doit être menée auprès des populations pour lever les préjugés.

Des projets liés à la chèvre comme le Projet d’Amélioration de la Filière Caprine, née de la coopération décentralisée entre Fatick et Poitou-Charentes doivent pouvoir intégrer dans leurs appuis cette dimension culturelle par la communication. Pour ce faire les médias peuvent servir de tribune pour sensibiliser et informer sur les vertus des produits de la chèvre et les conditions de leur meilleure utilisation. Les foires caprines organisées par le Conseil Régional sont également des moments propices pour sensibiliser et informer sur ces mêmes vertus des produits et sélectionner des recettes éprouvées des groupements à base de lait ou de viande de chèvre.

Au-delà de la sensibilisation, la formation des responsables des structures régionales et locales d’éleveurs et des professionnels de la viande et du lait sur les valeurs nutritives de ces produits et des cas d’allergie possibles à leur consommation doit être assurée pour leur faire jouer un rôle de relais et catalyseur du développement de la filière caprine.

Amener les acteurs à comprendre que certains jugements peuvent relever d’une volonté de protection de ce patrimoine contre certains abus.

Dans la culture sérère, compte tenu de l’importance qu’on accorde à certaines espèces végétales, il est parfois utilisé des arguments mystiques pour éviter leur coupe. C’est le cas du baobab dont il est dit que celui qui le coupe ou enlève ses écorces s’expose à des attaques de djiin (esprits de la brousse). C’est un argument d’apeurement que les anciens utilisaient pour protéger cette espèce qui jouait un rôle fondamental dans l’alimentation des sérères (préparation du lakh ou du couscous entre autres).
Comprenant que la chèvre joue également une fonction essentielle dans la sécurité alimentaire du fatickois et que la forte consommation de sa viande très prisée dans le milieu ou de son lait servant à nourrir le chevreau peut constituer une menace de disparition de l’espèce, on peut donc comprendre que la même stratégie d’apeurement soit utilisée. De telles croyances ou mythes peuvent être véhiculés pour la protection de l’espèce qui joue un rôle tampon entre l’état de pauvreté d’une partie de la population et celui de prospérité qui est marqué par l’obtention de vaches ou de bœufs.

Encourager un élevage semi-intensif qui tiennent compte du comportement de l’animal pour s’adapter.

Une bonne alimentation est la clé d’un élevage caprin prolifique. Pour valoriser la chèvre en respectant son caractère libre force est d’encourager les abris spacieux. La chèvre étant plus habituée à l’alimentation naturelle à partir de feuillage et d’herbes, il convient d’encourager également la culture fourragère tout en utilisant les suppléments d’aliments à base de produit locaux tels que le son de mil et le « rakal » issu de la trituration d’arachide que les femmes ont tendance à bazarder sur le marché. Cela est possible dans cette zone du bassin arachidier ou le mil et l’arachide sont les produits les plus cultivés. Les mauvaises conditions climatiques et la faiblesse de la pâture ne riment plus avec des chèvres en totale liberté et se contentant de se nourrir d’un peu de tout ce qu’elles trouvent y compris du papier ou du plastique s’il n’y a rien d’autre.

Le défi de l’alimentation est réel d’autant plus que pendant la saison des pluies les animaux doivent être attachés pour ne pas aller causer des dégâts dans les champs. A cette période, leur alimentation pose problème car les animaux attachés ou en stabulation dépendent entièrement de l’éleveur et si l’éleveur n’a pas assez de fourrage, les chèvres sont mal nourries et perdent leur fertilité. D’autant plus que seuls les moutons de case, les vaches laitières et les bovins à l’engrais reçoivent les fanes d’arachide et de niébé, et les tiges de sorgho récolté.

Les acteurs de la filière ont un rôle pionnier dans la valorisation de l’élevage caprin. Ils doivent démontrer aux autres acteurs qu’investir dans la chèvre peut être source de richesse si les naissances sont bien planifiées et si la commercialisation des sujets et des produits mieux organisée, en tenant compte des périodes où le prix de la viande et du lait sur le marché est plus élevé.

Investir sur la capacitation des enfants et des jeunes pour promouvoir la filière caprine

Pour redonner à la chèvre une belle image et encourager la consommation de ses produits, il convient d’investir dans la jeunesse. Pour ce faire, il serait pertinent d’établir des relations de partenariat avec les centres de formation comme les Centres d’Enseignement Technique Féminin (CETF) de Fatick pour une bonne valorisation de la chèvre et de ses produits sur le plan culinaire et de la transformation.

Le partenariat avec la recherche dans le domaine est fondamental. Des instituts de recherche comme l’Institut de Technologies Alimentaires (ITA) de Dakar peuvent renforcer les capacités des jeunes filles en matière de transformation des produits caprins.

Les responsables de l’Association Régionale des Eleveurs de Caprins de Fatick (ARECAF) doivent être de bons pionniers pour encourager leurs enfants à s’orienter vers des études qui valorisent la chèvre afin de créer l’émulation des autres. Déjà, les concours de dessins constituent une façon d’intéresser les écoles à la chèvre et de leur montrer que malgré les préjugés à son égard, la chèvre joue de multiples fonctions qui ne sauraient être passées sous silence.

Par conséquent, une réelle valorisation de la chèvre est source de croissance et de développement durable.